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La Pouplie et moi

 

Revue de presse de cette aventure :

France Inter - La Terre au carré Camille passe au vert :

https://www.franceinter.fr/emissions/camille-passe-au-vert/camille-passe-au-vert-10-fevrier-2021

Film documentaire Le Plus bel arbre de Camille Judrin - Production par Ushuaïa TV et Artisans du film : https://www.youtube.com/watch?v=3j3Ul74SCSE

France Info - Hortus Focus Isabelle Morand :

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/jardin/dans-la-marne-amandine-polet-a-sauve-la-pouplie_4893387.html

 

Média web indépendant La Relève et la peste : 

https://lareleveetlapeste.fr/le-combat-damandine-pour-sauver-la-pouplie-un-peuplier-geant-multi-centenaire/

Journal Le Parisien :

ttps://www.leparisien.fr/environnement/colossal-un-peuplier-noir-qui-semble-sorti-d-un-conte-de-fees-est-devenu-l-arbre-de-l-annee-15-01-2021-8419274.php

Battement d’elles, l’effet papillon d’Amandine sur la vie de La Pouplie, un peuplier remarquable. 

 

«Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut déclencher une tornade au Texas.» Edward Lorenz

 

Dans cette histoire, il y a deux "elles" pour se donner des ailes. La Pouplie d'un côté, un peuplier noir remarquable de plus de 300 ans qui incarne la résilience et moi de l'autre, qui refuse de me résilier à voir disparaître un arbre de plus. Plus de deux siècles nous séparent et pourtant nous formons une paire. On me demande souvent : pouvez-vous définir ce lien avec cet arbre ? Lui parlez-vous ?  Vous répond-t-elle ?.. Il m’est difficile de définir précisément les liens qui nous unissent, de mettre des mots sur cette relation unique partagée avec cet être vivant différent en tout point de moi. Ce lien convoque beaucoup de choses chez moi : des souvenirs d’enfance, mon rapport actuel à la prise de conscience environnementale, une excuse pour multiplier mes retours au sein du cocon familial, une manière de m’emparer d’une cause pour faire surgir qui je suis vraiment... Autant de raisons qui se valent toutes, mais qui ne définissent pas vraiment la teneur de cet amour. Je pèse le sens du mot Amour : Sentiment vif qui pousse à aimer (qqn), à vouloir du bien, à aider en s'identifiant plus ou moins. En cherchant à définir cet attachement, je suis tombée sur ce terme «dyade» que je trouve assez juste. Une dyade est un ensemble réunissant deux éléments en interaction, complémentaires et opposés.

« La dyade pointent l'un vers l'autre et chacun engage son être dans l'être de l'autre » Jean-Paul Sartre

Dyade ça rime avec Héliades, ça me plaît. C’est poétique, et ça sonne bien comme notre histoire. La mythologie tisse depuis des décennies des liens avec le vivant.  Dans la mythologie grecque, les Héliades sont les trois nymphes filles du Soleil qui se changèrent en peupliers à force de pleurer leur frère. J’aime à penser que La Pouplie est la réincarnation d’une de ces trois nymphes, car à mes yeux, c’est bel et bien une sorte de déesse.

On m’a dit dernièrement : « Amandine, tu es une contemplative ». Comment ne pas l’être devant tant de beauté... Je pourrais en effet rester des heures à la regarder et à l’écouter.

A la question «La Pouplie vous parle-t-elle ?», j’ai longtemps répondu «non» avec la crainte de passer pour une hurluberlue. Aujourd’hui, j'ose balbutier un «oui». Ce «oui» nécessite une certaine forme de courage, mais je garde à l'esprit qu'en nommant les choses, on les fait exister. 

Les arbres parlent, mais encore faut-il savoir les écouter.

 J’ai presque grandi sous les branches de La Pouplie. Ce peuplier noir multicentenaire androgyne (je reviendrais sur ce détail plus tard) est situé à Boult-sur-Suippe dans la plaine de la Vallée de la Suippe dans la Marne. Les mensurations de cette géante sont exceptionnelles. Elle frôle les nuages à trente-sept mètres de haut et sa circonférence de presque dix mètres nécessite plus de 8 personnes qui se tiennent la main pour en faire le tour. Ce qui fait de ce peuplier noir un des plus colossal d’Europe ! Comme tous les enfants du village, j’ai fréquenté l'école située à deux pas de l'arbre. Dans la maison familiale, chaque jour les volets de ma chambre s’ouvrent et se ferment au rythme des saisons sur La Pouplie. Mon regard veille avec tendresse sur ce phare végétal au loin que l’on dirait tout droit sortie d’un conte de J.R.R. Tolkien ou J.K. Rowling tant il est monumental. Qui sait, cette énorme cavité à sa base qui permet de s’infiltrer en son coeur est peut-être une porte vers un ailleurs.

 

Le peuplier noir est une essence menacée en France et depuis les années 90 bénéficie au même titre que quatre autres espèces - le hêtre, le sapin, l’orme et le merisier - d’un programme national de conservation des ressources génétiques mené par l’INRA. L’Institut National de Recherche des Arbres. Non ce n’est pas tout-à-fait ça ! Ce «A» est l’initiale de Agronomie : L’Institut National de Recherches Agronomiques. Outch, c’est un A qui change tout pour moi. Pourquoi un programme de conservation du peuplier noir passe par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation et non celui de la transition écologique ? En passant, je découvre que L’administration des forêts a été rattachée à plusieurs reprises au cours du XIXème siècle au Ministère des finances. Oulala... ça va de mal en pis... Voila, qui en dit long sur notre rapport millénaire aux arbres en France. Depuis le Moyen Âge, les hommes entretiennent des liens aux arbres qui sont régis par le productivisme. On «cultive» les arbres. Dur à encaisser pour une amoureuse des arbres qui les trouvent avant tout poétiques).

 

Ce concours m’a permis de rencontrer de formidables personnes. Marc Villar fait partie de celles-ci. Il est l’expert en France du Peuplier Noir au Centre INRA Val de Loire, site d’Orléans. Passionné et dévoué, il m’a généreusement transmis tout un tas de ressources documentaires sur cette essence que je ne connaissais pas très bien avant le concours. Grâce à lui, maintenant je sais distinguer un pied mâle d’un pied femelle. Je me demande parfois s’il existe un Marc Villar pour chacune des essences ? Depuis le début du XXème siècle, Populus Nigra de son nom scientifique est surtout une des espèces impliquées dans des programmes européens d’amélioration forestière. Il confère aux hybrides sa rusticité et son bon comportement vis-à-vis de certaines maladies. Le peuplier est aujourd’hui majoritairement exploité pour la fabrication de cagettes ou de palettes. Triste sort pour cette essence surprenante qui a servi de support à la peinture de La Joconde. Le peuplier noir est un bois blanc à croissance rapide. Plusieurs facteurs menacent le peuplier noir dans son habitat naturel : l’altération des forêts alluviales par les activités humaines, le remplacement des zones inondables par des zones urbanisées, l’anthropisation et l’exploitation des cours d’eau. Par ailleurs, les peupliers noirs indigènes ont subi de nombreuses hybridations génétiques. Le peuplier m’a amené à m’intéresser aux ripisylves, aux alluvions, aux corridors biologiques et à tout un tas d’autres choses sur lesquelles j’ai glissé de fil en aiguille. Au fond, creuser un sujet c’est dériver sur un autre et intégrer à quel point tout est interconnecté. La Pouplie ne pousse pas aux abords d’une rivière mais d’un ruisseau dans le village. Ses racines sont ancrées sur une nappe phréatique. Non loin dans le village, il y a la Suippe, une rivière qui s’écoule sur 93 km qui parcoure la Champagne crayeuse dans les départements de la Marne et l’Aisne. Le lit majeur de la Suippe est essentiellement boisé. L’aval est presque exclusivement composé de peupliers.

 

Vous l’aurez compris, il est difficile de savoir s’il faut parler de cet arbre au féminin ou au masculin ? Nombreux sont ceux qui ont essayé de trancher. La question reste ouverte. Voila pourquoi plus haut je qualifie La Pouplie de peuplier androgyne. En effet, c’est «un» arbre, «un» peuplier noir. Il n’y a pas de doutes au printemps ses châtons sont pourpres, il s’agit donc bien d’un pied mâle. Le Peuplier Noir est une espèce dioïque. Seulement, son petit nom local est féminin, c’ est « La » Pouplie. Le « La » devant Pouplie n’est pas à prendre à la légère dans la Marne. En effet, c’est chose commune ici de faire précéder les prénoms par les articles définis «le» ou «la» (La Amandine, La Pouplie...). Il amplifie la personnification de cet arbre et prouve comme ô combien il est important pour les habitants du village. Ce terme «Pouplie» trouve son origine du mot «Pouplier» qui signifie dans le vieux patois local «peuplier». Dans de vieux écrits on parle de «l’arbre de la pouplière». Une pouplière que j’imagine comme une sorte de pouponnière de bébés peupliers (ceci est ma propre interprétation). Autrefois, cette commune comptait d'autres peupliers noirs colossaux en bord de Suippe. L'un d'entre eux "L'arbre de la Pouplière" qualifié d'énorme et d'ancien fut malheureusement abattu en 1850.

 

En 2018, le conte de fée a bien failli virer au cauchemar. Des feux d’artifice le soir du 14 juillet ont déclenché un début d'incendie à l’intérieur du tronc. Fort heureusement, celui- ci est rapidement maîtrisé. Suite à cet événement le maire du village et le propriétaire de la parcelle sur laquelle pousse l’arbre s’accordent «pour des raisons de sécurité» à dire qu’il faut le couper. Les plus proches voisins de l’arbre (une autre Amandine et Jordan) inquiets de voir disparaître l’emblême du village alertent la presse locale et demandent qu’un bilan de santé de l’arbre soit réalisé. L’expertise révèle que l’arbre va bien eu égard à son âge avancé et préconise un élagage pour le soulager. La longévité d’un peuplier noir varie entre 200 et 400 ans pour les spécimens les plus âgés. La situation s’enlise peu à peu... L’ancienne municipalité du village fait viabiliser la parcelle en terrain à bâtir. Le propriétaire de celle-ci espère vendre et refuse d’entretenir l’arbre qui représente avant-tout un fardeau en matière de sécurité. L’arbre ne lui appartenant pas, la commune refuse de prendre en charge l’élagage. La situation est bloquée. Le Maire et le propriétaire dialoguent à coup de recommandés. La rue dans laquelle se situe l’arbre restera de ce fait fermée pendant plus de deux ans... Une situation qui finit par excéder certains riverains des alentours. C’est à ce moment précis que j’entre dans l’histoire... Pas de cape rouge, ni de baguette magique pour dénouer cette situation épineuse, juste de la suite dans les idées, de la patiente et une volonté de fer. En mars dernier, à la manière d’une bouteille à la mer je prends contact avec l’association A.R.B.R.E.S pour demander conseil. Comment s’y prendre pour sauvegarder cet arbre exceptionnel faisant partie du patrimoine naturel et culturel ? L’association connaît déjà l’arbre. Elle confirme que La Pouplie comprend tous les critères pour être labellisée arbre remarquable. Seulement, il est impossible de faire labelliser un arbre situé sur un terrain privé. Même si l’arbre est exceptionnel, qu’il a une valeur paysagère, patrimoniale et écologique, la notion de propriété prévaut en France. Le propriétaire a donc le droit de vie ou de mort sur l’arbre. Plus qu’à l’arbre lui-même, ce label est attribué aux communes, aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés.

Par ce label, il s’agit de faire reconnaître et protéger l’arbre symboliquement. L’association A.R.B.R.E.S agit pour que les arbres remarquables soient reconnus comme un patrimoine culturel immatériel. Oeuvrer pour faire Considérer l’arbre comme un bien commun à conserver. 

 

En avril, je vois passer sur les réseaux sociaux un post relayé entre autres par la Ligue de Protection des Oiseaux : « Si un arbre vous émerveille, qu'il suscite votre admiration ou vous rend rêveur ; qu'il possède des qualités esthétiques, biologiques et historiques... C'est peut-être bien le futur gagnant du Concours de l’arbre de l’année !». La voila ma planche de salut ! Une occasion en or pour débloquer la situation ! Un premier pas vers la protection de l’arbre peut-être si mes plans fonctionnent. 

 

Depuis neuf ans maintenant, le magazine Terre Sauvage et l’ONF organisent le concours de l’Arbre de l’année pour mettre en avant les plus beaux arbres de France. Ce concours invite les citoyens à inscrire les arbres remarquables qui les entourent. Les prix de ces concours sont symboliques car il n y a rien à gagner si ce n’est la reconnaissance de l’arbre. Parmi les 300 candidatures présentées, 14 sont selectionnées et 3 d’entre elles ont reçu un prix. «La Pouplie», le peuplier noir multicentenaire représentant la région Grand Est a remporté le "Prix du Public" grâce à 6344 votes ! Grâce à ce prix, dans la foulée, il représente la France au concours européen et décroche la 9ème place sur 14 sur le podium ! Un beau palmarès pour cet arbre inconnu au bataillon un an auparavant quand on sait qu’il servit de mirador aux soldats français durant la 1ère Guerre Mondiale. Ces actions et ma forte mobilisation de presque un an ont permis à l’arbre de passer du statut d’arbre menacé à celui d’arbre sauvegardé. Mon amour pour cet arbre et ma détermination m'ont permis de mener à bien mon entreprise ! Voila de quoi donner du courage à toutes celles et ceux qui luttent pour la sauvegarde de ce patrimoine naturel vivant.

 

J’ai vécu le concours comme une véritable campagne de communication. Je me suis autoproclamée Attachée de presse de l’arbre en revendiquant que c’était un métier d’avenir. Je me suis beaucoup appuyée sur la force des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont des leviers qui permettent de rendre des contenus viraux. L’ objectif étant de faire le buzz pour encourager les followers à «likez / votez / partagez.» Ce que je retiens de cette aventure, c’est que chacun à son niveau a participé à la sauvegarde de l’arbre. J’ai tout fait pour faire connaître cet arbre et le faire gagner. C’était une manière d’encourager les citoyens à se pencher au moins le temps d’un concours sur l’importance de la conservation des vieux arbres. Le vote a une force symbolique importante. Surtout si on le fait résonner aux élections législatives. Donner sa voix à un arbre, c’est la garantie de ne pas être déçue. Le concours s’est déroulé en même temps que l’élection présidentielle aux USA. Cela amusait beaucoup les journalistes. Il y a même une caricature de l’illustrateur Thierry Doudoux qui est sortie à ce sujet. Elle illustre Trump mécontent disant à La Pouplie «Tu as triché» tout en la pointant d’un doigt inquisiteur. Les journalistes ont souvent comparé ce concours au concours des Miss France. J’ai même fait parler la Pouplie a plusieurs reprises sur sa page FB «La Pouplie : peuplier noir multicentenaire de Boult-sur-Suippe» et dans l’émission Radio Arbres de Laetitia Dosch. Dans cette histoire, tout le monde a à y gagner avec des enjeux différents.

 

Si j’avais à peu près anticipé l’issue du concours avec la labellisation officielle d’arbre de l’année, je n’avais pas anticipé la suite... Car l’histoire ne s’arrête pas là. Une fois l’arbre élu «Arbre de l’année 2020», La commune s’est vue remettre officiellement le label arbre remarquable de France. J’ai vu passer à l’ordre du jour d’un des conseils municipaux la volonté de procéder à l’élagage de l’arbre. J’ai immédiatement pris contact avec le Maire pour évoquer qui serait l’artisan qui va tailler et réduire le plus bel arbre de France. Je dois l’avouer j’étais inquiète de savoir qui est suffisamment précautionneux et soucieux des arbres pour réaliser cette tache qui n’est pas sans risque pour un arbre. Il fallait donc trouver une main de maître. Le Maire a accepté que je lui suggère des professionnels. Je me suis tournée vers Marc Villar de l’INRA qui m’a gentiment transmis les coordonnées d’Augustin Bonnardot du CAUE 77 Conseil d’architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement). Troisième belle rencontre après celle de Georges Feterman de l’association A.R.B.R.E.S et Marc. Augustin Bonnardot est un forestier arboriste ressource sans égal sur l’élagage. Et particulièrement celui du peuplier noir qui de part ses caractéristiques nécessite une attention particulière. Sa devise « L’élagage sévère nuit gravement à la santé et à la beauté des arbres ». Me voilà donc rassurée ! C’est bien lui qu’il me faut. Augustin Bonnardot va me recommander d’une part Olivier Jacqmin, paysagiste DPLG et l’ensemble des structures adhérentes à l’association SEQUOIA qui a établit une charte de qualité en matière d’arboriculture. L'heureux élus sera donc Olivier Jacqmin ! Voici peut-être la plus belle rencontre de cette aventure. Olivier qui avait entendu parlé de La Pouplie sur France Inter s’est montré très attentif à ma demande et a réalisé une taille raisonnée de l'arbre visant respecter la structure de l'arbre sans le fragiliser. 

Ecrit pour La Lettre de la Société française de l'arboriculture 

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